Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/200

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fils, le soir de la catastrophe, chacun s’était efforcé de reprendre son air de tous les jours. Aucune allusion n’était faite, il semblait qu’il n’y eût rien de nouveau entre eux. La vie de famille continuait machinale, déroulant les mêmes habitudes affectueuses, le bonjour et le bonsoir accoutumés, les baisers distraits, donnés à heure fixe. Ce fut pourtant un soulagement, lorsqu’on put rouler Chanteau jusqu’à la table. Cette fois, ses genoux restaient ankylosés, il lui était impossible de se mettre debout. Mais il n’en jouissait pas moins du calme relatif où la douleur le laissait, et cela au point de ne plus être touché de la joie ni de la tristesse des siens, tout entier à l’égoïsme de son bien-être. Quand madame Chanteau s’était risquée à l’entretenir du départ précipité de Louise, il l’avait suppliée de ne pas lui parler de ces choses tristes. Pauline, depuis qu’elle n’était plus clouée dans la chambre de son oncle, tâchait de s’occuper, sans parvenir à cacher son tourment. Les soirées surtout devenaient pénibles, le malaise perçait sous l’affectation de la paix habituelle. C’était bien l’existence d’autrefois, avec les petits faits quotidiens répétés ; mais, à certains gestes nerveux, même à un silence, tous sentaient le déchirement intérieur, la blessure dont ils ne parlaient pas et qui allait en s’agrandissant.

Lazare, d’abord, s’était méprisé. La supériorité morale de Pauline, si droite, si juste, l’emplissait de honte et de colère. Pourquoi n’avait-il pas le courage de se confesser franchement à elle et de lui demander pardon ? Il lui aurait raconté cette aventure, la surprise de sa chair, l’odeur de femme coquette dont il venait de se griser ; et elle était d’esprit trop large pour ne pas comprendre. Mais un insurmon-