Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/239

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marche, car elle ne trouvait plus le courage de descendre pour annoncer la mort à Lazare et à Chanteau. Les murs, autour d’elle, tournaient. Quelques minutes se passèrent, elle reprit la rampe, entendit dans la salle à manger la voix de l’abbé Horteur, et préféra entrer dans la cuisine. Mais, là, elle aperçut Lazare, dont la silhouette sombre se détachait sur le reflet rouge du fourneau. Sans parler, elle s’avança, les bras ouverts. Il avait compris, il s’abandonna contre l’épaule de la jeune fille, tandis qu’elle le serrait d’une longue étreinte. Puis, ils se baisèrent au visage. Elle pleurait silencieusement, et lui ne pouvait verser une larme, si étranglé, qu’il ne respirait plus. Enfin, elle desserra les bras, elle dit la première phrase qui lui venait aux lèvres :

— Pourquoi es-tu sans lumière ?

Il fit un geste, comme pour répondre qu’il n’avait pas besoin de lumière dans son chagrin.

— Il faut allumer une bougie, reprit-elle.

Lazare était tombé sur une chaise, incapable de se tenir debout.

Mathieu, très inquiet, faisait le tour de la cour, flairant l’air humide de la nuit. Il rentra, les regarda fixement l’un après l’autre, alla poser sa grosse tête sur un genou de son maître ; et il resta immobile à l’interroger de tout près, les yeux dans les yeux. Alors, Lazare se mit à trembler devant ce regard de chien. Brusquement, les larmes jaillirent, il éclata en sanglots, les mains nouées autour de cette vieille bête domestique, que sa mère aimait depuis quatorze ans. Il bégayait des mots entrecoupés.

— Ah ! mon pauvre gros, mon pauvre gros… Nous ne la verrons plus.