Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Qu’elle couche dans leur lit, puisqu’ils l’aiment ! Ce n’est fichtre pas moi qui l’en empêcherai !

Véronique descendait à leur rencontre avec un parapluie, car les averses recommençaient. L’abbé Horteur, toujours abrité derrière son mur, leur cria des phrases qu’ils ne purent entendre. Ce temps abominables, les épis détruits, la misère de ce village qu’ils laissaient en danger, attristaient encore leur retour. Quand ils rentrèrent dans la maison, elle leur sembla nue et glacée ; seul, le vent en traversait les pièces mornes, d’un hurlement continu. Chanteau, assoupi devant le feu de coke, se mit à pleurer, dès qu’ils parurent. Ni l’un ni l’autre ne monta changer de vêtements, pour éviter les souvenirs affreux de l’escalier. La table était prête, la lampe allumée, on dîna tout de suite. Ce fut une soirée sinistre, les secousses profondes de la mer, dont les murs tremblaient, coupaient les paroles rares. Lorsqu’elle servit le thé, Véronique annonça que la maison des Houtelard et cinq autres étaient déjà par terre ; cette fois, la moitié du village y resterait. Chanteau, désespéré de n’avoir pu encore retrouver son équilibre dans ses souffrances, lui ferma la bouche, en disant qu’il avait bien assez de son malheur et qu’il ne voulait pas entendre parler de celui des autres. Après l’avoir mis au lit, tous se couchèrent, brisés de fatigue. Jusqu’au jour, Lazare garda de la lumière ; et, à plus de dix reprises, Pauline, inquiète, ouvrit doucement sa porte pour écouter ; mais il ne montait, du premier étage, vide maintenant, qu’un silence de mort.

Dès le lendemain, commencèrent pour le jeune homme les heures lentes et poignantes qui suivent les grands deuils. Il s’éveillait comme d’un évanouis-