Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/251

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La nuit, il n’osait éteindre sa lampe, des bruits furtifs s’approchaient du lit, une haleine l’effleurait au front, dans l’obscurité. Et la plaie, au lieu de se fermer, allait en s’élargissant toujours, c’était au moindre souvenir une secousse nerveuse, une apparition réelle et rapide, qui s’évanouissait aussitôt, en lui laissant l’angoisse du jamais plus.

Tout, dans la maison, lui rappelait sa mère. La chambre était restée intacte, on n’avait pas changé un meuble de place, un dé à coudre traînait au bord d’une petite table, à côté d’un ouvrage de broderie. Sur la cheminée, l’aiguille de la pendule arrêtée marquait sept heures trente-sept minutes, l’heure dernière. Il évitait d’entrer là. Puis, quand il montait vivement l’escalier, une résolution soudaine l’y poussait parfois. Et, le cœur battant à grands coups, il lui semblait que les vieux meubles amis, le secrétaire, le guéridon, le lit surtout, avaient pris une majesté qui les faisait autres. Par les volets toujours clos, glissait une lueur pâle, dont le vague augmentait son trouble, tandis qu’il allait baiser l’oreiller, où s’était glacée la tête de la morte. Un matin, comme il entrait, il demeura saisi : les volets, grands ouverts, laissaient pénétrer à flots le plein jour ; une nappe gaie de soleil était couchée en travers du lit, jusque sur l’oreiller ; et les meubles se trouvaient garnis de fleurs, dans tous les pots qu’on avait pu réunir. Alors, il se rappela, c’était un anniversaire, la naissance de celle qui n’était plus, date fêtée tous les ans, et dont sa cousine avait gardé la mémoire. Il n’y avait là que les pauvres fleurs de l’automne, les asters, les marguerites, les dernières roses touchées déjà par la gelée ; mais elles sentaient bon la vie, elles encadraient de leurs couleurs