Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/283

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on avait déjà retiré le morceau, pour le placer à l’autre bout ; et sans cesse il faisait le tour, et sans cesse le sucre sautait, jusqu’à ce que, étourdi, stupéfié de ce continuel escamotage, il se mît à jeter des abois féroces. Ce fut ce jeu que Lazare essaya de recommencer, dans la pensée fraternelle de donner encore une récréation à l’agonie de la triste bête. Le chien battit un instant de la queue, tourna une fois, puis buta contre la chaise de Pauline. Il ne voyait pas le sucre, son corps décharné s’en allait de côté, le sang pleuvait en gouttes rouges autour de la table. Chanteau ne fredonnait plus, une pitié serrait le cœur de tout le monde, au spectacle du pauvre Mathieu mourant, qui tâtonnait en se rappelant les parties du Mathieu glouton de jadis.

— Ne le fatiguez pas, dit doucement le docteur. Vous le tuez.

Le curé, en train de fumer en silence, fit cette remarque pour s’expliquer sans doute son émotion :

— Ces grands chiens, on dirait des hommes.

À dix heures, lorsque le prêtre et le médecin furent partis, Lazare, avant de monter à sa chambre, alla lui-même renfermer Mathieu dans la remise. Il l’allongea sur de la paille fraîche, s’assura qu’il avait sa terrine d’eau, l’embrassa, puis voulut le laisser seul. Mais le chien, d’un effort pénible, s’était déjà mis debout et le suivait. Il fallut le recoucher trois fois. Enfin, il se soumit, il resta la tête droite, regardant son maître s’éloigner, d’un regard si triste, que celui-ci, désespéré, retourna l’embrasser encore.

En haut, Lazare tâcha de lire jusqu’à minuit. Puis, il finit par se coucher. Mais il ne put dormir, l’idée de Mathieu ne le quittait pas. Il le revoyait toujours