Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/294

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maison qu’elle dirigeait, de son air de douce autorité. Mais, le soir, lorsqu’elle avait fermé sa porte, il lui était permis d’avoir ses chagrins, et tout son courage s’en allait, et elle pleurait comme une enfant débile. Il ne lui restait aucune espérance, l’échec à sa bonté s’aggravait sans cesse. C’était donc possible ? la charité ne suffisait pas, on pouvait aimer les gens et faire leur malheur ; car elle voyait son cousin malheureux, peut-être par sa faute. Puis, au fond de son doute, grandissait la crainte d’une influence rivale. Si elle s’était longtemps rassurée, en expliquant cette humeur noire par leur deuil récent, l’idée de Louise maintenant revenait, cette idée qui s’était dressée en elle, le lendemain même de la mort de madame Chanteau, qu’elle avait chassée avec une confiance orgueilleuse en sa tendresse et qui renaissait chaque soir, dans la défaite de son cœur.

Alors, Pauline fut hantée. Dès qu’elle avait posé son bougeoir, elle tombait assise sur le bord de son lit, sans trouver le courage d’ôter sa robe. Sa gaieté depuis le matin, son ordre et sa patience, l’écrasaient, ainsi qu’un vêtement trop lourd. La journée, comme celles qui avaient précédé, comme celles qui suivraient, venait de s’écouler au milieu de cet ennui de Lazare, dont la maison prenait la désespérance. À quoi bon son effort de joie, puisqu’elle ne savait plus chauffer de soleil ce coin aimé ? L’ancienne parole cruelle retentissait, on vivait trop seul, la faute en était à sa jalousie, qui avait écarté le monde. Elle ne nommait pas Louise, elle voulait ne pas songer à elle, et quand même elle la voyait passer avec son air joli, amusant Lazare de ses langueurs coquettes, l’égayant du vol de ses jupes. Les minutes s’écoulaient, elle ne pouvait chasser leur image. C’était cette