Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/325

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la porte se ferma sur le vide sonore de la pièce.

Chez elle, la même sensation d’inconnu l’attendait. Était-ce donc sa chambre, avec les roses bleues du papier peint, le lit de fer étroit, drapé de rideaux de mousseline ? Elle vivait là pourtant depuis tant d’années ! Sans poser la bougie, elle si courageuse d’habitude, fit une visite, écarta les rideaux, regarda sous le lit, derrière les meubles. C’était en elle un ébranlement, une stupeur, qui la tenait debout devant les choses. Jamais elle n’aurait cru qu’une pareille angoisse pût tomber de ce plafond, dont elle connaissait chaque tache ; et elle regrettait, à cette heure, de n’être pas restée à Caen, elle sentait cette maison plus effrayante, si peuplée de souvenirs et si vide, aux ténèbres si froides par cette nuit de tempête. L’idée de se coucher lui était insupportable. Elle s’assit, sans même ôter son chapeau, resta quelques minutes immobile, les yeux grands ouverts sur la bougie qui l’aveuglait. Brusquement, elle s’étonna, que faisait-elle à cette place, la tête pleine d’un tumulte, dont le bourdonnement l’empêchait de penser ? Il était une heure, elle serait mieux dans son lit. Et elle se mit à se déshabiller, de ses mains chaudes et lentes.

Un besoin d’ordre persistait, dans cette débâcle de sa vie. Elle serra soigneusement son chapeau, s’inquiéta d’un coup d’œil si ses bottines n’avaient pas souffert. Sa robe était déjà pliée au dossier d’une chaise, elle n’avait plus qu’un jupon et sa chemise, lorsque son regard tomba sur sa gorge de vierge. Peu à peu, une flamme empourpra ses joues. Du trouble de son cerveau, des images se précisaient et se dressaient, les deux autres dans leur chambre, là-bas, une chambre qu’elle connaissait, où elle-