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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/328

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que de l’éternité de sa torture. Un effroi la remit debout. Quelqu’un était là, car elle avait entendu rire. Mais elle ne trouva que sa bougie presque achevée, qui venait de faire éclater la bobèche. Si quelqu’un pourtant l’avait vue ? Ce rire imaginaire courait encore sur sa peau comme une caresse brutale. Était-ce vraiment elle, qui restait nue ainsi ? Une pudeur la prenait, elle avait croisé les bras devant sa gorge, dans une attitude éperdue, pour ne plus s’apercevoir elle-même. Enfin, vivement, elle passa une chemise de nuit, elle retourna s’enfouir sous les couvertures, qu’elle monta jusqu’à son menton. Son corps grelottant se faisait tout petit. Quand la bougie fut éteinte, elle ne bougea plus, anéantie par la honte de cette crise.

Pauline fit sa malle dans la matinée, sans trouver la force d’annoncer son départ à Chanteau. Cependant, le soir, il fallut tout lui dire, car le docteur Cazenove devait venir la chercher le lendemain et la mener lui-même chez sa parente. Lorsqu’il eut compris, l’oncle, bouleversé, leva ses pauvres mains infirmes, dans un geste fou, comme pour la retenir ; et il bégayait, il la suppliait. Elle ne ferait jamais ça, elle ne le quitterait pas, car ce serait un meurtre, il en mourrait à coup sûr. Puis, quand il la vit s’entêter doucement et qu’il devina ses raisons, il se décida à confesser le tort qu’il avait eu de manger du perdreau la veille. Des pointes légères le brûlaient déjà aux jointures. C’était toujours la même histoire, il succombait dans la lutte : mangerait-il ? souffrirait-il ? et il mangeait, certain de souffrir, à la fois contenté et terrifié. Mais elle n’aurait pas le courage peut-être de l’abandonner, au beau milieu d’un accès.