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LA JOIE DE VIVRE.

deux pieds se prenaient, même un genou était menacé. Trois fois déjà, le malade avait vu changer la mode de guérir, son triste corps finissait par être un champ d’expériences, où se battaient les remèdes des réclames. Après l’avoir saigné copieusement, on venait de le purger sans prudence, et maintenant on le bourrait de colchique et de lithine. Aussi, dans l’épuisement du sang appauvri et des organes débilités, sa goutte aiguë se transformait-elle peu à peu en goutte chronique. Les traitements locaux ne réussissaient guère mieux, les sangsues avaient laissé les articulations rigides, l’opium prolongeait les crises, les vésicatoires amenaient des ulcérations. Wiesbaden et Carlsbad ne lui produisirent aucun effet, une saison à Vichy manqua de le tuer.

— Mon Dieu ! que je souffre ! répétait Chanteau, c’est comme si des chiens me dévoraient le pied.

Et, pris d’une agitation anxieuse, espérant se soulager en changeant de position, il tournait et retournait sa jambe. Mais l’accès augmentait toujours, chaque mouvement lui arrachait des plaintes. Bientôt il poussa un hurlement continu, dans le paroxysme de la douleur. Il avait des frissons et de la fièvre, une soif ardente le brûlait.

Cependant, Pauline venait de se glisser dans la chambre. Debout devant le lit, elle regardait son oncle, d’un air sérieux, sans pleurer. Madame Chanteau perdait la tête, énervée par les cris. Véronique avait voulu arranger la couverture, dont le malade ne pouvait supporter le poids ; mais, lorsqu’elle s’était avancée avec ses mains d’homme, il avait crié davantage, lui défendant de le toucher. Elle le terrifiait, il l’accusait de le secouer comme un paquet de linge sale.