Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/417

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si bien qu’il avait pris la forme du fauteuil, et qu’il restait ainsi plié et tordu, lorsqu’on le couchait. La douleur ne le quittait plus, l’inflammation reparaissait à la moindre variation du temps, pour un doigt de vin ou pour une bouchée de viande, pris en dehors de son régime sévère.

— Si tu voulais une tasse de lait, lui demanda Pauline, cela te rafraîchirait peut-être ?

— Ah ! oui, du lait ! répondit-il entre deux gémissements. Encore une jolie invention que leur cure de lait ! Je crois qu’ils m’ont achevé avec ça… Non, non, rien, c’est ce qui me réussit le mieux.

Il lui demanda pourtant de changer sa jambe gauche de place, car il ne pouvait la remuer à lui seul.

— La gredine brûle aujourd’hui. Mets-la plus loin, pousse-la donc ! Bien, merci… Quelle belle journée ! ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !

Les yeux sur le vaste horizon, il continua de gémir sans en avoir conscience. Son cri de misère était à présent comme son haleine même. Vêtu d’un gros molleton bleu, dont l’ampleur noyait ses membres pareils à des racines, il abandonnait sur ses genoux ses mains contrefaites, lamentables au grand soleil. Et la mer l’intéressait, cet infini bleu où passaient des voiles blanches, cette route sans borne, ouverte devant lui qui n’était plus capable de mettre un pied devant l’autre.

Pauline, que les jambes nues du petit Paul inquiétaient, s’était agenouillée de nouveau, pour rabattre un coin de la couverture. Pendant trois mois, elle avait dû, chaque semaine, partir le lundi suivant. Mais les mains faibles de l’enfant la retenaient avec une puissance invincible. Le premier mois, on avait