Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/426

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tres personnes charitables. Le docteur Cazenove avait enfin obtenu l’entrée de la mère de Cuche aux Incurables de Bayeux, et elle-même tenait cent francs en réserve pour habiller le fils, auquel elle avait trouvé une place d’homme d’équipe, sur la ligne de Cherbourg. Pendant qu’elle parlait, il baissait la tête, il l’écoutait d’un air défiant.

— C’est entendu, n’est-ce pas ? continua-t-elle. Tu accompagneras ta mère, puis tu te rendras à ton poste.

Mais, comme elle s’avançait vers lui, il fit un bond en arrière. Ses yeux baissés ne la quittaient point, il avait cru qu’elle cherchait à le saisir aux poignets.

— Quoi donc ? demanda-t-elle, surprise.

Alors, il murmura, de son air inquiet d’animal farouche :

— Vous allez me prendre pour m’enfermer. Je ne veux pas.

Et, dès lors, tout fut inutile. Il la laissait parler, semblait convaincu par ses bonnes raisons ; seulement, dès qu’elle bougeait, il se jetait vers la porte ; et, d’un branle obstiné de la tête, il refusait pour sa mère, il refusait pour lui, il préférait ne pas manger et vivre libre.

— Hors d’ici, fainéant ! finit par crier Chanteau indigné. Tu es bien bonne de t’occuper d’un pareil vaurien !

Les mains de Pauline tremblaient de sa charité inutile, de son amour des autres qui se brisait contre cette misère volontaire. Elle eut un geste de tolérance désespérée.

— Va, mon oncle, ils souffrent, il faut qu’ils mangent tout de même.

Et elle rappela Cuche pour lui donner, comme les