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LA JOIE DE VIVRE.

— J’avais bien songé à autre chose, murmura la tante, mais comme dans l’industrie on court toujours des risques, je m’étais même promis de ne pas en parler.

Et, se tournant vers la jeune fille :

— Oui, ma chérie, ce serait que toi-même tu prêtasses les trente mille francs à ton cousin… Jamais tu n’aurais fait un placement si avantageux, ton argent te rapporterait peut-être le vingt-cinq pour cent, car ton cousin t’associerait à ses bénéfices ; et cela me fend le cœur de voir toute cette fortune aller dans la poche d’un autre… Seulement, je ne veux pas que tu hasardes tes sous. C’est un dépôt sacré, il est là-haut, et je te le rendrai intact.

Pauline écoutait, plus pâle, en proie à une lutte intérieure. Il y avait en elle une hérédité d’avarice, l’amour de Quenu et de Lisa pour la grosse monnaie de leur comptoir, toute une première éducation reçue autrefois dans la boutique de charcuterie, le respect de l’argent, la peur d’en manquer, un inconnu honteux, une vilenie secrète qui s’éveillait au fond de son bon cœur. Puis, sa tante lui avait tant montré le tiroir du secrétaire où dormait son héritage, que l’idée de le voir se fondre aux mains brouillonnes de son cousin, l’irritait presque. Et elle se taisait, ravagée aussi par l’image de Louise apportant un gros sac d’argent au jeune homme.

— Tu voudrais, que je ne voudrais pas, reprit madame Chanteau. N’est-ce pas, mon ami, c’est un cas de conscience ?

— Son argent est son argent, répondit Chanteau, qui jeta un cri en essayant de soulever sa jambe. Si les choses tournaient mal, on tomberait sur nous… Non, non ! Thibaudier sera très heureux de prêter.