Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/92

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battre. Il aurait peut-être tout planté là, sans l’angoisse qu’il éprouvait, à l’idée de laisser dans ce gouffre les trente mille francs de Pauline. Son honnêteté, sa fierté se révoltaient : c’était impossible, il devait trouver de l’argent, on ne pouvait abandonner ainsi une affaire qui rendrait plus tard des millions.

— Tiens-toi tranquille, répétait sa mère, lorsqu’elle le voyait malade d’incertitude. Nous n’en sommes pas encore à ne savoir où prendre quelques billets de mille francs.

Madame Chanteau mûrissait un projet. Après l’avoir surprise, l’idée d’un mariage entre Lazare et Pauline lui semblait convenable. Il n’y avait, en somme, que neuf années entre eux, différence acceptée tous les jours. Cela n’arrangeait-il pas les choses ? Lazare désormais travaillerait pour sa femme, il ne se tourmenterait plus de sa dette, il emprunterait même à Pauline la somme dont il avait besoin. Au fond de madame Chanteau, confusément, s’agitait bien un scrupule, la crainte d’une catastrophe finale, la ruine de leur pupille. Seulement, elle écartait ce dénouement impossible ; est-ce que Lazare n’avait pas du génie ? Il enrichirait Pauline, c’était celle-ci qui faisait une bonne affaire. Son fils avait beau être pauvre, il valait une fortune, si elle le donnait.

Le mariage fut décidé très simplement. Un matin, la mère interrogea dans sa chambre la jeune fille, qui, tout de suite, vida son cœur avec une tranquillité souriante. Puis, elle lui fit prétexter un peu de fatigue ; et, l’après-midi, elle accompagna seule son fils à l’usine. Lorsque, au retour, elle lui expliqua longuement son projet, l’amour de la petite cousine, la convenance d’un pareil mariage, les avantages