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LES ROUGON-MACQUART.

Il se troubla, il prit une mine sotte.

— Dame ! elle fait ce qu’il lui plaît, ça la regarde.

Françoise, le dos tourné, s’était remise en marche.

— Ça, c’est vrai… Je plaisante, parce que vous pourriez être quasiment mon père, et que ça ne tire pas à conséquence… Mais, voyez-vous, depuis que Buteau a fait sa cochonnerie à ma sœur, j’ai bien juré que je me couperais plutôt les quatre membres que d’avoir un amoureux.

Jean hocha la tête, et ils ne parlèrent plus. Le petit champ du Poteau se trouvait au bout du sentier, à moitié chemin de Rognes. Quand il y fut, le garçon s’arrêta. La herse l’attendait, un sac de semence était déchargé dans un sillon. Il y remplit son semoir, en disant :

— Adieu, alors !

— Adieu ! répondit Françoise. Encore merci !

Mais il fut pris d’une crainte, il se redressa et cria :

— Dis donc, si la Coliche recommençait… Veux-tu que je t’accompagne jusque chez toi ?

Elle était déjà loin, elle se retourna, jeta de sa voix calme et forte, au travers du grand silence de la campagne :

— Non ! non ! inutile, plus de danger ! elle a le sac plein !

Jean, le semoir noué sur le ventre, s’était mis à descendre la pièce de labour, avec le geste continu, l’envolée du grain ; et il levait les yeux, il regardait Françoise décroître parmi les cultures, toute petite derrière sa vache indolente, qui balançait son grand corps. Lorsqu’il remonta, il cessa de la voir ; mais, au retour, il la retrouva, rapetissée encore, si mince, qu’elle ressemblait à une fleur de pissenlit, avec sa taille fine et son bonnet blanc. Trois fois de la sorte, elle diminua ; puis, il la chercha, elle avait dû tourner, devant l’église.

Deux heures sonnèrent, le ciel restait gris, sourd et glacé ; et des pelletées de cendre fine paraissaient y avoir enseveli le soleil pour de longs mois, jusqu’au printemps. Dans cette tristesse, une tache plus claire pâlissait les nuages, vers Orléans, comme si, de ce côté, le soleil