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LES ROUGON-MACQUART.

bourdieu, un gros boutiquier de Cloyes, qui avait peu à peu joint à son commerce de nouveautés la bonneterie, la mercerie, la cordonnerie, même la quincaillerie, tout un bazar qu’il promenait de village en village, dans un rayon de cinq ou six lieues. Les paysans finissaient par lui tout acheter, depuis leurs casseroles jusqu’à leurs habits de noce. Sa voiture s’ouvrait et se rabattait, développant des files de tiroirs, un étalage de vrai magasin.

Lorsque Lambourdieu eut reçu la commande de la capeline, il ajouta :

— Et, en attendant, vous ne voulez pas de beaux foulards ?

Il tirait d’un carton, il faisait claquer au soleil des foulards rouges à palmes d’or, éclatants.

— Hein ? trois francs, c’est pour rien !… Cent sous les deux !

Lise et Françoise, qui les avaient pris par-dessus la haie d’aubépine, où séchaient des couches de Jules, les maniaient, les convoitaient. Mais elles étaient raisonnables, elles n’en avaient pas besoin : à quoi bon dépenser ? Et elles les rendaient, lorsque Jean se décida tout d’un coup à vouloir épouser Lise, malgré le petit. Alors, pour brusquer les choses, il lui cria :

— Non, non, gardez-le, je vous l’offre !… Ah ! vous me feriez de la peine, c’est de bonne amitié, bien sûr !

Il n’avait rien dit à Françoise, et comme celle-ci tendait toujours au marchand son foulard, il la remarqua, il eut au cœur un élancement de chagrin, en croyant la voir pâlir, la bouche souffrante.

— Mais toi aussi, bête ! garde-le… Je le veux, tu ne vas pas faire ta mauvaise tête !

Les deux sœurs, combattues, se défendaient et riaient. Déjà, Lambourdieu avait allongé la main, par-dessus la haie, pour empocher les cent sous. Et il repartit, le cheval derrière lui démarra la longue voiture, la fanfare rauque de la trompette se perdit au détour du chemin.

Tout de suite, Jean avait eu l’idée de pousser ses affaires, auprès de Lise, en se déclarant. Une aventure l’en em-