Page:Emile Zola - La Terre.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LES ROUGON-MACQUART.

— Qu’est-ce qu’il a aujourd’hui, ce Jean ? est-il farce !

Les fourchées d’herbe étaient jetées toujours plus haut, et la meule montait. On plaisanta Lequeu et Berthe, qui avaient fini par s’asseoir. Peut-être bien que N’en-a-pas se faisait chatouiller à distance, avec une paille ; et puis, le maître d’école pouvait enfourner, ce n’était pas pour lui que cuirait la galette.

— Est-il sale ! répéta Palmyre, qui ne savait pas rire et qui étouffait.

Alors, Jean la taquina.

— Avec ça que vous êtes arrivée à l’âge de trente-deux ans, sans avoir vu la feuille à l’envers !

— Moi, jamais !

— Comment ! pas un garçon ne vous l’a pris ? Vous n’avez pas d’amoureux ?

— Non, non.

Elle était devenue toute pâle, très sérieuse, avec sa longue face de misère, flétrie déjà, hébétée à force de travail, où il n’y avait plus que des yeux de bonne chienne, d’un dévouement clair et profond. Peut-être revivait-elle sa vie dolente, sans une amitié, sans un amour, une existence de bête de somme menée à coups de fouet, morte de sommeil, le soir, à l’écurie ; et elle s’était arrêtée, debout, les poings sur sa fourche, les regards au loin, dans cette campagne qu’elle n’avait même jamais vue.

Il y eut un silence. Françoise écoutait, immobile en haut de la meule, tandis que Jean, qui soufflait lui aussi, continuait à goguenarder, hésitant à dire l’affaire qu’il avait aux lèvres. Puis, il se décida, il lâcha tout.

— C’est donc des menteries, ce qu’on raconte, que vous couchez avec votre frère ?

De blême qu’il était, le visage de Palmyre s’empourpra, d’un flot de sang qui lui rendit sa jeunesse. Elle bégayait, surprise, irritée, ne trouvant pas le démenti qu’elle aurait voulu.

— Oh ! les méchants… si l’on peut croire…

Et Françoise et Jean, repris de gaieté bruyante, parlaient à la fois, la pressaient, la bouleversaient. Dame !