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V


Deux ans s’étaient passés, dans cette vie active et monotone des campagnes ; et Rognes avait vécu, avec le retour fatal des saisons, le train éternel des choses, les mêmes travaux, les mêmes sommeils.

Il y avait en bas, sur la route, à l’encoignure de l’école, une fontaine d’eau vive, où toutes les femmes descendaient prendre leur eau de table, les maisons n’ayant que des mares, pour le bétail et l’arrosage. À six heures, le soir, c’était là que se tenait la gazette du pays ; les moindres événements y trouvaient un écho, on s’y livrait à des commentaires sans fin sur ceux-ci qui avaient mangé de la viande, sur la fille à ceux-là, grosse depuis la Chandeleur ; et, pendant les deux années, les mêmes commérages avaient évolué avec les saisons, revenant et se répétant, toujours des enfants faits trop tôt, des hommes soûls, des femmes battues, beaucoup de besogne pour beaucoup de misère. Il était arrivé tant de choses et rien du tout !

Les Fouan, dont la démission de biens avait passionné, vivotaient, si assoupis, qu’on les oubliait. L’affaire en était demeurée là, Buteau s’obstinait, et il n’épousait toujours pas l’aînée des Mouche, qui élevait son mioche. C’était comme Jean, qu’on avait accusé de coucher avec Lise : peut-être bien qu’il n’y couchait pas ; mais, alors, pourquoi continuait-il à fréquenter la maison des deux sœurs ? Ça semblait louche. Et l’heure de la fontaine aurait langui, certains jours, sans la rivalité de Cœlina Macqueron et de Flore Lengaigne, que la Bécu jetait l’une sur l’autre, sous le prétexte de les réconcilier. Puis, en plein calme, venaient d’éclater deux gros événements,