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LA TERRE.

1861, on a crié au miracle. Mais, aujourd’hui, les véritables effets se font sentir, voyez comme tous les prix s’avilissent. Moi, je suis pour la protection, il faut qu’on nous défende contre l’étranger.

Hourdequin, renversé sur sa chaise, ne mangeant plus, les yeux vagues, parla lentement.

— Le blé, qui est à dix-huit francs l’hectolitre, en coûte seize à produire. S’il baisse encore, c’est la ruine… Et, chaque année, dit-on, l’Amérique augmente ses exportations de céréales. On nous menace d’une vraie inondation du marché. Que deviendrons-nous, alors ?… Tenez ! moi, j’ai toujours été pour le progrès, pour la science, pour la liberté. Eh bien ! me voilà ébranlé, parole d’honneur ! Oui, ma foi ! nous ne pouvons crever de faim, qu’on nous protège !

Il se remit à son aile de pigeon, il continua :

— Vous savez que votre concurrent, monsieur Rochefontaine, le propriétaire des Ateliers de construction de Châteaudun, est un libre-échangiste enragé ?

Et ils causèrent un instant de cet industriel, qui occupait douze cents ouvriers, un grand garçon intelligent et actif, très riche d’ailleurs, tout prêt à servir l’empire, mais si blessé de n’avoir pu obtenir l’appui du préfet, qu’il s’était obstiné à se poser en candidat indépendant. Il n’avait aucune chance, les électeurs des campagnes le traitaient en ennemi public, du moment où il n’était pas du côté du manche.

— Parbleu ! reprit M. de Chédeville, lui ne demande qu’une chose, c’est que le pain soit à bas prix, pour payer ses ouvriers moins cher.

Le fermier, qui allait se verser un verre de bordeaux, reposa la bouteille sur la table.

— Voilà le terrible ! cria-t-il. D’un côté, nous autres, les paysans, qui avons besoin de vendre nos grains à un prix rémunérateur. De l’autre, l’industrie, qui pousse à la baisse, pour diminuer les salaires. C’est la guerre acharnée, et comment finira-t-elle, dites-moi ?

En effet, c’était l’effrayant problème d’aujourd’hui, l’an-