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LA TERRE.

pu amender certains champs comme il l’aurait voulu, seul le marnage était peu coûteux, et personne autre que lui ne s’en préoccupait. Même histoire pour les fumiers, on n’employait que le fumier de ferme, qui était insuffisant : tous ses voisins se moquaient, à le voir essayer des engrais chimiques, dont la mauvaise qualité, du reste, donnait souvent raison aux rieurs. Malgré ses idées sur les assolements, il avait dû adopter celui du pays, l’assolement triennal, sans jachères, depuis que les prairies artificielles et la culture des plantes sarclées se répandaient. Une seule machine, la machine à battre, commençait à être acceptée. C’était l’engourdissement mortel, inévitable, de la routine ; et si lui, progressiste, intelligent, se laissait envahir, qu’était-ce donc pour les petits propriétaires, têtes dures, hostiles aux nouveautés ? Un paysan serait mort de faim, plutôt que de ramasser dans son champ une poignée de terre et de la porter à l’analyse d’un chimiste, qui lui aurait dit ce qu’elle avait de trop ou de pas assez, la fumure qu’elle demandait, la culture appelée à y réussir. Depuis des siècles, le paysan prenait au sol, sans jamais songer à lui rendre, ne connaissant que le fumier de ses deux vaches et de son cheval, dont il était avare ; puis, le reste allait au petit bonheur, la semence jetée dans n’importe quel terrain, germant au hasard, et le ciel injurié si elle ne germait pas. Le jour où, instruit enfin, il se déciderait à une culture rationnelle et scientifique, la production doublerait. Mais, jusque-là, ignorant, têtu, sans un sou d’avance, il tuerait la terre. Et c’était ainsi que la Beauce, l’antique grenier de la France, la Beauce plate et sans eau, qui n’avait que son blé, se mourait peu à peu d’épuisement, lasse d’être saignée aux quatre veines et de nourrir un peuple imbécile.

— Ah ! tout fout le camp ! cria-t-il avec brutalité. Oui, nos fils verront ça, la faillite de la terre… Savez-vous bien que nos paysans, qui jadis amassaient sou à sou l’achat d’un lopin, convoité des années, achètent aujourd’hui des valeurs financières, de l’espagnol, du portugais et même du mexicain ? Et ils ne risqueraient pas cent francs pour