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LA TERRE.

Alors, en voyant qu’ils ne partaient pas, un combat se livra en elle, car d’habitude, dans cette circonstance, on offrait un verre de vin. Elle se décida, descendit à la cave, bien qu’il y eût là une bouteille entamée. C’était qu’elle avait, pour ces occasions, un reste de vin tourné, qu’elle ne pouvait boire, tant il était aigre, et qu’elle appelait du chasse-cousin. Elle emplit deux verres, elle regarda son neveu et sa nièce d’un œil si rond, qu’ils durent les vider sans une grimace, pour ne pas la blesser. Ils la quittèrent, la gorge en feu.

Ce même soir Buteau et Lise se rendirent à Roseblanche, chez les Charles. Mais, là, ils tombèrent au milieu d’une aventure tragique.

M. Charles était dans son jardin, très agité. Sans doute une violente émotion venait de le saisir, au moment où il nettoyait un rosier grimpant, car il tenait son sécateur à la main, et l’échelle était encore contre le mur. Il se contraignit pourtant, il les fit entrer au salon, où Élodie brodait de son air modeste.

— Ah ! vous vous mariez dans huit jours. C’est très bien, mes enfants… Mais nous ne pourrons être des vôtres, madame Charles est à Chartres, et elle y restera une quinzaine.

Il souleva ses paupières lourdes, pour jeter un regard vers la jeune fille.

— Oui, dans les moments de presse, aux grandes foires, madame Charles va donner là-bas un coup de main à sa fille… Vous savez, le commerce est le commerce, il y a des jours où l’on s’écrase, dans la boutique. Estelle a beau avoir pris le courant, sa mère lui est bien utile, d’autant plus que, décidément, notre gendre Vaucogne n’en fait guère… Et puis, madame Charles est heureuse de revoir la maison. Que voulez-vous ? nous y avons laissé trente ans de notre vie, ça compte !

Il s’attendrissait, ses yeux se mouillaient, vagues, fixés là-bas, dans le passé. Et c’était vrai, sa femme avait souvent la nostalgie de la petite maison de la rue aux Juifs, du fond de sa retraite bourgeoise, si douillette, si cossue,