Page:Emile Zola - La Terre.djvu/215

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III


Pendant toute une année, Fouan vécut de la sorte, silencieux dans la maison déserte. On l’y trouvait sans cesse sur les jambes, allant, venant, les mains tremblantes, et ne faisant rien. Il restait des heures devant les auges moisies de l’étable, retournait se planter à la porte de la grange vide, comme cloué là par une songerie profonde. Le jardin l’occupait un peu ; mais il s’affaiblissait, il se courbait davantage vers la terre, qui semblait le rappeler à elle ; et, deux fois, on l’avait secouru, le nez tombé dans ses plants de salades.

Depuis les vingt francs donnés à Jésus-Christ, Delhomme payait seul la rente, car Buteau s’entêtait à ne plus verser un sou, déclarant qu’il aimait mieux aller en justice, que de voir son argent filer dans la poche de sa canaille de frère. Ce dernier, en effet, arrachait encore de temps à autre une aumône forcée à son père, que ses scènes de larmes anéantissaient.

Ce fut alors que Delhomme, devant cet abandon du vieux, exploité, malade de solitude, eut l’idée de le prendre. Pourquoi ne vendrait-il pas la maison et n’habiterait-il pas chez sa fille ? Il n’y manquerait de rien, on n’aurait plus les deux cents francs de rente à lui payer. Le lendemain, Buteau, ayant appris cette offre, accourut, en fit une semblable, avec tout un étalage de ses devoirs de fils. De l’argent pour le gâcher, non ! mais du moment qu’il s’agissait de son père tout seul, celui-ci pouvait venir, il mangerait et dormirait, à l’aise. Au fond, sa pensée dut être que sa sœur n’attirait le vieux que dans le calcul de mettre la main sur le magot soupçonné. Lui-même pourtant commençait à douter de l’existence de cet