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LES ROUGON-MACQUART.

— Moi, je n’aime pas les mauvais cœurs, c’est parce que tu as l’air d’être dégoûtée de moi, que ça me vexe… Autrement, je n’ai guère envie de faire du chagrin à ma femme, dans sa position…

Elle s’imagina qu’il craignait d’être vendu à Lise, lui aussi.

— Ça, tu peux en être sûr : si tu parles, je parlerai.

— Oh ! je n’en ai pas peur, reprit-il avec un aplomb tranquille. Je dirai que tu mens, que tu te venges de ce que je t’ai surprise.

Puis, comme ils arrivaient, il conclut d’une voix rapide :

— Alors, ça reste entre nous… Faudra voir à en recauser tous les deux.

Lise, pourtant, commençait à s’étonner, ne comprenant pas comment Françoise revenait ainsi avec Buteau. Celui-ci raconta que cette paresseuse était allée bouder derrière une meule, là-bas. D’ailleurs, un cri rauque les interrompit, on oublia l’affaire.

— Quoi donc ? qui a crié ?

C’était un cri effrayant, un long soupir hurlé, pareil à la plainte de mort d’une bête qu’on égorge. Il monta et s’éteignit, dans la flamme implacable du soleil.

— Hein ? qui est-ce ? un cheval bien sûr, les os cassés !

Ils se tournèrent, et ils virent Palmyre encore debout, dans le chaume voisin, au milieu des javelles. Elle serrait, de ses bras défaillants, contre sa poitrine plate, une dernière gerbe, qu’elle s’efforçait de lier. Mais elle jeta un nouveau cri d’agonie, plus déchiré, d’une détresse affreuse ; et, lâchant tout, tournant sur elle-même, elle s’abattit dans le blé, foudroyée par le soleil qui la chauffait depuis douze heures.

Lise et Françoise se hâtèrent, Buteau les suivit, d’un pas moins empressé ; tandis que, des pièces d’alentour, tout le monde aussi arrivait, les Delhomme, Fouan qui rôdait par là, la Grande qui chassait les pierres du bout de sa canne.

— Qu’y a-t-il donc ?