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LA TERRE.

— Vous savez, mes amis, que le vin, les fagots, ainsi que les fromages et les œufs, sont dans les usages…

Mais il fut interrompu par une volée de phrases aigres.

— Des œufs avec des poulets dedans, peut-être !

— Est-ce que nous buvons notre vin ? nous le vendons !

— Ne rien foutre et se chauffer, c’est commode, lorsque vos enfants s’esquintent !

Le notaire, qui en avait entendu bien d’autres, continua avec flegme :

— Tout ça, ce n’est pas à dire… Saperlotte ! Jésus-Christ, asseyez-vous donc ! Vous bouchez le jour, c’est agaçant !… Et voilà qui est entendu, n’est-ce pas, vous tous ? Vous donnerez les redevances en nature, parce que vous vous feriez montrer au doigt… Il n’y a donc que le chiffre de la rente à débattre…

Delhomme, enfin, fit signe qu’il avait à parler. Chacun venait de reprendre sa place, il dit lentement, au milieu de l’attention générale :

— Pardon, ça semble juste, ce que demande le père. On pourrait lui servir huit cents francs, puisque c’est huit cents francs qu’il louerait son bien… Seulement, nous ne comptons pas ainsi, nous autres. Il ne nous loue pas la terre, il nous la donne, et le calcul est de savoir ce que lui et la mère ont besoin pour vivre… Oui, pas davantage, ce qu’ils ont besoin pour vivre.

— En effet, appuya le notaire, c’est ordinairement la base que l’on prend.

Et une autre querelle s’éternisa. La vie des deux vieux fut fouillée, étalée, discutée besoin par besoin. On pesa le pain, les légumes, la viande ; on estima les vêtements, rognant sur la toile et sur la laine ; on descendit même aux petites douceurs, au tabac à fumer du père, dont les deux sous quotidiens, après des réclamations interminables, furent fixés à un sou. Lorsqu’on ne travaillait plus, il fallait savoir se réduire. Est-ce que la mère, elle aussi, ne pouvait se passer de café noir ? C’était comme leur chien, un vieux chien de douze ans qui mangeait gros, sans utilité : il y avait beau temps qu’on aurait dû