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LA TERRE.

ventre monstrueux, ses cuisses grasses, très blanches, si élargies, qu’on lui voyait jusqu’au cœur.

Dans l’étable, Buteau et Françoise étaient restés pour éclairer Patoir, tous les deux assis sur leurs talons, approchant chacun une chandelle, tandis que le vétérinaire, allongé de nouveau, pratiquait au bistouri une section autour du jarret de gauche. Il décolla la peau, tira sur l’épaule qui se dépouilla et s’arracha. Mais Françoise, pâlissante, défaillante, laissa tomber sa chandelle et s’enfuit en criant :

— Ma pauvre vieille Coliche… Je ne veux pas voir ça ! je ne veux pas voir ça !

Patoir s’emporta, d’autant plus qu’il dut se relever, pour éteindre un commencement d’incendie, déterminé dans la paille par la chute de la chandelle.

— Nom de Dieu de gamine ! ça vous a des nerfs de princesse !… Elle nous fumerait comme des jambons.

Toujours courant, Françoise était allée se jeter sur une chaise, dans la pièce où accouchait sa sœur, dont l’écartement béant ne l’émotionna pas, comme s’il se fût agi d’une chose naturelle et ordinaire, après ce qu’elle venait de voir. D’un geste, elle chassait cette vision de chairs découpées toutes vives ; et elle raconta en bégayant ce qu’on faisait à la vache.

— Ça ne peut pas marcher, faut que j’y retourne, dit soudain Lise, qui, malgré ses douleurs, se souleva pour quitter ses trois chaises.

Mais déjà la Frimat et la Bécu, se fâchant, la maintenaient en place.

— Ah ! çà, voulez-vous bien rester tranquille ! Qu’est-ce que vous avez donc dans le corps ?

Et la Frimat ajouta :

— Bon ! voilà que vous crevez la bouteille, vous aussi !

En effet, les eaux étaient parties d’un jet brusque, que la paille, sous le drap, but tout de suite ; et les derniers efforts de l’expulsion commencèrent. Le ventre nu poussait malgré lui, s’enflait à éclater, pendant que les jambes, avec leurs bas bleus, se repliaient et s’ouvraient,