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III


La maison des Fouan était la première de Rognes, au bord de la route de Cloyes à Bazoches-le-Doyen, qui traverse le village. Et, le lundi, le vieux en sortait dès le jour, à sept heures, pour se rendre au rendez-vous donné devant l’église, lorsqu’il aperçut, sur la porte voisine, sa sœur, la Grande, déjà levée, malgré ses quatre-vingts ans.

Ces Fouan avaient poussé et grandi là, depuis des siècles, comme une végétation entêtée et vivace. Anciens serfs des Rognes-Bouqueval, dont il ne restait aucun vestige, à peine les quelques pierres enterrées d’un château détruit, ils avaient dû être affranchis sous Philippe le Bel ; et, dès lors, ils étaient devenus propriétaires, un arpent, deux peut-être, achetés au seigneur dans l’embarras, payés de sueur et de sang dix fois leur prix. Puis, avait commencé la longue lutte, une lutte de quatre cents ans, pour défendre et arrondir ce bien, dans un acharnement de passion que les pères léguaient aux fils : lopins perdus et rachetés, propriété dérisoire sans cesse remise en question, héritages écrasés de tels impôts qu’ils semblaient fondre, prairies et pièces de labour peu à peu élargies pourtant, par ce besoin de posséder, d’une ténacité lentement victorieuse. Des générations y succombèrent, de longues vies d’hommes engraissèrent le sol ; mais, lorsque la Révolution de 89 vint consacrer ses droits, le Fouan d’alors, Joseph-Casimir, possédait vingt et un arpents, conquis en quatre siècles sur l’ancien domaine seigneurial.

En 93, ce Joseph-Casimir avait vingt-sept ans ; et, le jour où ce qu’il restait du domaine fut déclaré bien national et vendu par lots aux enchères, il brûla d’en acquérir quel-