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LA TERRE.

ouvert la bouche, pour s’en mêler ; et, chaque fois, en homme prudent, il s’était mordu la langue.

— Et ma part, à moi ! cria brusquement Jésus-Christ. Chacun doit avoir sa part. Liberté, égalité, fraternité !

Canon, du coup, s’emporta, levant la main comme s’il giflait le camarade.

— Vas-tu me foutre la paix avec ta liberté, ton égalité et ta fraternité !… Est-ce qu’on a besoin d’être libre ? une jolie farce ! Tu veux donc que les bourgeois nous collent encore dans leur poche ? Non, non, on forcera le peuple au bonheur, malgré lui !… Alors, tu consens à être l’égal, le frère d’un huissier ? Mais, bougre de bête ! c’est en gobant ces âneries-là que tes républicains de 48 ont foiré leur sale besogne !

Jésus-Christ, interloqué, déclara qu’il était pour la grande Révolution.

— Tu me fais suer, tais-toi !… Hein ? 89, 93 ! oui, de la musique ! une belle menterie dont on nous casse les oreilles ! Est-ce que ça existe, cette blague, à côté de ce qu’il reste à faire ? On va voir ça, quand le peuple sera le maître, et ça ne traînera guère, tout craque, je te promets que notre siècle, comme on dit, finira d’une façon autrement chouette que l’autre. Un fameux nettoyage, un coup de torchon comme il n’y en a jamais eu !

Tous frémirent, et ce soûlard de Jésus-Christ lui-même se recula, effrayé, dégoûté, du moment qu’on n’était plus frères. Jean, intéressé jusque-là, eut aussi un geste de révolte. Mais Canon s’était levé, les yeux flambants, la face noyée d’une extase prophétique.

— Et il faut que ça arrive, c’est fatal, comme qui dirait un caillou qu’on a lancé en l’air et qui retombe forcément… Et il n’y a plus là-dedans des histoires de curé, des choses de l’autre monde, le droit, la justice, qu’on n’a jamais vues, pas plus qu’on n’a vu le bon Dieu ! Non, il n’y a que le besoin que nous avons tous d’être heureux… Hein ? mes bougres, dites-vous qu’on va s’entendre pour que chacun s’en donne par-dessus la tête, avec le moins de travail possible ! Les machines travailleront pour nous, la jour-