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LES ROUGON-MACQUART.

près. C’était juste et raisonnable, en somme, car ce règlement à l’amiable aurait évité de mettre dans l’affaire la justice, qui en garde toujours trop gras aux mains. Buteau, que l’entrée de la Grande avait révolutionné, forcé qu’il était de la respecter, celle-là, à cause de ses sous, ne put en entendre davantage. Il sortit violemment, de crainte d’oublier son intérêt jusqu’à taper dessus. Et Lise, restée seule, le sang aux oreilles, bégaya de colère.

— La maison, elle veut la maison, cette dévergondée, cette rien du tout, qui s’est mariée sans même me venir voir !… Eh bien ! ma tante, dites-lui que le jour où elle aura la maison, faudra sûrement que je sois crevée.

La Grande demeura calme.

— Bon ! bon ! ma fille, pas besoin de se tourner le sang… Tu veux aussi la maison, c’est ton droit. On va voir.

Et, pendant trois jours, elle voyagea ainsi, entre les deux sœurs, portant de l’une à l’autre les sottises qu’elles s’adressaient, les exaspérant à ce point, que toutes les deux faillirent se mettre au lit. Elle, sans se lasser, faisait valoir combien elle les aimait et quelle reconnaissance ses nièces lui devraient, pour s’être résignée à ce métier de chien. Enfin, il fut convenu qu’on partagerait la terre, mais que la maison et le mobilier, ainsi que les bêtes, seraient vendus judiciairement, puisqu’on ne pouvait s’entendre. Chacune des deux sœurs jurait qu’elle rachèterait la maison n’importe à quel prix, quitte à y laisser sa dernière chemise.

Grosbois vint donc arpenter les biens et les diviser en deux lots. Il y avait un hectare de prairie, un autre de vignes, deux de labour ; et c’étaient ces derniers surtout, au lieu dit des Cornailles, que Buteau, depuis son mariage, s’entêtait à ne pas lâcher, car ils touchaient au champ qu’il tenait lui-même de son père, ce qui constituait une pièce de près de trois hectares, telle que pas un paysan de Rognes n’en possédait. Aussi, quel enragement, lorsqu’il vit Grosbois installer son équerre et planter les jalons ! La Grande était là, à surveiller, Jean ayant préféré ne pas y être, de peur d’une bataille. Et une discussion