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LES ROUGON-MACQUART.

Buteau ricana, Delhomme et les autres ne purent également s’empêcher de rire, tant cette idée de Jésus-Christ volé leur sembla drôle. Il fallait voir la maison, une ancienne cave, trois murs retrouvés en terre, un vrai terrier à renard, entre des écroulements de cailloux, sous un bouquet de vieux tilleuls. C’était tout ce qu’il restait du château ; et, quand le braconnier, à la suite d’une querelle avec son père, s’était réfugié dans ce coin rocheux qui appartenait à la commune, il avait dû construire en pierres sèches, pour fermer la cave, une quatrième muraille, où il avait laissé deux ouvertures, une fenêtre et la porte. Des ronces retombaient, un grand églantier masquait la fenêtre. Dans le pays, on appelait ça le Château.

Une nouvelle ondée creva. Heureusement, l’arpent de vignes se trouvait voisin, et la division en trois lots fut rondement menée, sans provoquer de contestation. Il n’y avait plus à partager que trois hectares de pré, en bas, au bord de l’Aigre ; mais, à ce moment, la pluie devint si forte, un tel déluge tomba, que l’arpenteur, en passant devant la grille d’une propriété, proposa d’entrer.

— Hein ! si l’on s’abritait une minute chez monsieur Charles ?

Fouan s’était arrêté, hésitant, plein de respect pour son beau-frère et sa sœur, qui, après fortune faite, vivaient retirés, dans cette propriété de bourgeois.

— Non, non, murmura-t-il, ils déjeunent à midi, ça les dérangerait.

Mais M. Charles apparut en haut du perron, sous la marquise, intéressé par l’averse ; et, les ayant reconnus, il les appela.

— Entrez, entrez donc !

Puis, comme tous ruisselaient, il leur cria de faire le tour et d’aller dans la cuisine, où il les rejoignit. C’était un bel homme de soixante-cinq ans, rasé, aux lourdes paupières sur des yeux éteints, à la face digne et jaune de magistrat retiré. Vêtu de molleton gros bleu, il avait des chaussons fourrés et une calotte ecclésiastique, qu’il portait dignement, en gaillard dont la vie s’était passée