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LA TERRE.

moment même où Buteau rentrait à Rognes, de son pas lourd. Et Jean, resté seul, termina sa besogne, déposant tous les dix mètres des fourchées de fumier, qui dégageaient un redoublement de vapeurs ammoniacales. D’autres tas fumaient au loin, noyaient l’horizon d’un fin brouillard bleuâtre. Toute la Beauce en restait tiède et odorante, jusqu’aux gelées.

Les Buteau étaient toujours chez la Frimat, où ils occupaient la maison, sauf la pièce du rez-de-chaussée, sur le derrière, qu’elle s’était réservée pour elle et pour son homme paralytique. Ils s’y trouvaient trop à l’étroit, leur regret était surtout de ne plus avoir de potager ; car, naturellement, elle gardait le sien, ce coin qui lui suffisait à nourrir et à dorloter l’infirme. Cela les aurait fait déménager, en quête d’une installation plus large, s’ils ne s’étaient aperçus que leur voisinage exaspérait Françoise. Seul, un mur mitoyen séparait les deux héritages. Et ils affectaient de dire très haut, afin d’être entendus, qu’ils campaient là, qu’ils allaient pour sûr rentrer chez eux, à côté, au premier jour. Alors, inutile, n’est-ce pas ? de se donner le souci d’un nouveau dérangement ? Pourquoi, comment rentreraient-ils ? ils ne s’expliquaient point, et c’était cet aplomb, cette certitude folle, basée sur des choses inconnues, qui jetait Françoise hors d’elle, gâtant sa joie d’être restée maîtresse de la maison ; sans compter que sa sœur Lise plantait des fois une échelle contre le mur, pour lui crier de vilaines paroles. Depuis le règlement définitif des comptes, chez M. Baillehache, elle se prétendait volée, elle ne tarissait pas en accusations abominables, lancées d’une cour à l’autre.

Lorsque Buteau arriva enfin, il trouva le père Fouan étalé sur son lit, dans le recoin qu’il occupait derrière la cuisine, sous l’escalier du fenil. Les deux enfants le gardaient, Jules âgé de huit ans déjà, Laure de trois, jouant par terre à faire des ruisseaux, avec la cruche du vieux, qu’ils vidaient.

— Eh bien ! quoi donc ? demanda Buteau, debout devant le lit.