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LA TERRE.

lui-même. Pourtant, le jour du marché, Lise eut la faiblesse de rapporter une potion ordonnée la veille ; et, comme le docteur venait le lundi, pour la dernière fois, Buteau lui conta que le vieux avait failli rechuter.

— Je ne sais pas ce qu’ils ont fichu dans votre bouteille, ça l’a rendu bougrement malade.

Ce fut ce soir-là que Fouan se décida à parler. Depuis qu’il se levait, il piétinait d’un air anxieux dans la maison, la tête vide, ne se rappelant plus où il avait bien pu cacher ses papiers. Il furetait, fouillait partout, faisait des efforts désespérés de mémoire. Puis, un vague souvenir lui revint : peut-être qu’il ne les avait pas cachés, qu’ils étaient restés là, sur la planche. Mais, quoi ? s’il se trompait, si personne ne les avait pris, allait-il donc lui-même donner l’éveil, avouer l’existence de cet argent, péniblement amassé autrefois, dissimulé ensuite avec tant de soin ? Pendant deux jours encore, il lutta, combattu entre la rage de cette brusque disparition et la nécessité où il s’était mis de ne pas en ouvrir la bouche. Les faits pourtant se précisaient, il se souvenait que, le matin de son attaque, il avait posé le paquet à cette place, en attendant de le glisser, au plafond, dans la fente d’une poutre, qu’il venait de découvrir de son lit, les yeux en l’air. Et, dépouillé, torturé, il lâcha tout.

On avait mangé la soupe du soir. Lise rangeait les assiettes, et Buteau, goguenard, qui suivait son père des yeux depuis le jour où il s’était relevé, s’attendait à l’affaire, se balançait sur sa chaise, en se disant que ça y était cette fois, tant il le voyait excité et malheureux. En effet, le vieux, dont les jambes molles chancelaient à battre obstinément la pièce, se planta tout d’un coup devant lui.

— Les papiers ? demanda-t-il d’une voix rauque, qui s’étranglait.

Buteau cligna les paupières, l’air profondément surpris, comme s’il ne comprenait pas.

— Hein ? qu’est-ce que vous dites ?… Les papiers, quels papiers ?