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LA TERRE.

— Moi, ton frère.

Sans doute, elle avait reconnu la voix tout de suite, et elle ne se pressait pas, pour le plaisir de le forcer à causer. Un silence s’était fait, elle demanda de nouveau :

— Qu’est-ce que tu veux ?

Il tremblait, il n’osait répondre. Alors, brutalement, elle rouvrit ; mais, comme il entrait, elle barra la porte de ses bras maigres, elle le laissa dans la rue, sous la pluie battante, dont le ruissellement triste n’avait pas cessé.

— Je le sais, ce que tu veux. On est venu me dire ça, à la veillée… Oui, tu as eu la bêtise de te faire manger encore, tu n’as pas même su garder l’argent de ta cachette, et tu veux que je te ramasse, hein ?

Puis, voyant qu’il s’excusait, bégayait des explications, elle s’emporta.

— Si je ne t’avais pas averti ! Mais te l’ai-je assez répété qu’il fallait être bête et lâche pour renoncer à sa terre !… Tant mieux, si te voilà tel que je le disais, chassé par tes gueux d’enfants, courant la nuit comme un mendiant qui n’a pas même une pierre à lui pour dormir !

Les mains tendues, il pleura, il essaya de l’écarter. Elle tenait bon, elle achevait de se vider le cœur.

— Non, non ! va demander un lit à ceux qui t’ont volé. Moi, je ne te dois rien. La famille m’accuserait encore de me mêler de ses affaires… D’ailleurs, ce n’est point tout ça, tu as donné ton bien, jamais je ne pardonnerai…

Et, redressée, avec son cou flétri et ses yeux ronds d’oiseau de proie, elle lui jeta la porte sur la face, violemment.

— C’est bien fait, crève dehors !

Fouan resta là, raidi, immobile, devant cette porte impitoyable, pendant que, derrière lui, la pluie continuait avec son roulement monotone. Enfin, il se retourna, il se renfonça dans la nuit d’encre, que noyait cette chute lente et glacée du ciel.

Où alla-t-il ? Il ne se le rappela jamais bien. Ses pieds glissaient dans les flaques, ses mains tâtonnaient pour ne pas se heurter contre les murs et les arbres. Il ne pensait