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LA TERRE.

son pays natal… Moi, devant les choses du cœur, je me suis toujours incliné.

Roseblanche, comme on nommait la propriété, était la folie d’un bourgeois de Cloyes, qui venait d’y dépenser près de cinquante mille francs, lorsqu’une apoplexie l’y avait foudroyé, avant que les peintures fussent sèches. La maison, très coquette, posée à mi-côte, était entourée d’un jardin de trois hectares, qui descendait jusqu’à l’Aigre. Au fond de ce trou perdu, à la lisière de la triste Beauce, pas un acheteur ne s’était présenté, et M. Charles l’avait eu pour vingt mille francs. Il y contentait béatement tous ses goûts, des truites et des anguilles superbes, pêchées dans la rivière, des collections de rosiers et d’œillets cultivées avec amour, des oiseaux enfin, une grande volière pleine des espèces chanteuses de nos bois, que personne autre que lui ne soignait. Le ménage, vieilli et tendre, mangeait là ses douze mille francs de rente, dans un bonheur absolu, qu’il regardait comme la récompense légitime de ses trente années de travail.

— N’est-ce pas ? ajouta M. Charles, on sait au moins qui nous sommes, ici.

— Sans doute, on vous connaît, répondit l’arpenteur. Votre argent parle pour vous.

Et tous les autres approuvèrent.

— Bien sûr, bien sûr.

Alors, M. Charles dit à la servante de donner des verres. Il descendit lui-même chercher deux bouteilles de vin à la cave. Tous, le nez tourné vers la poêle où se rissolaient les alouettes, flairaient la bonne odeur. Et ils burent gravement, se gargarisèrent.

— Ah ! fichtre ! il n’est pas du pays, celui-là !… Fameux !

— Encore un coup… À votre santé !

— À votre santé !

Comme ils reposaient leurs verres, madame Charles parut, une dame de soixante-deux ans, à l’air respectable, aux bandeaux d’un blanc de neige, qui avait le masque épais et à gros nez des Fouan, mais d’une pâleur rosée, d’une paix et d’une douceur de cloître, une chair de