Page:Emile Zola - La Terre.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
LES ROUGON-MACQUART.

tambour sur une vieille poêle. Seul, le père Fouan, resté sur le banc de pierre, les regardait passer de ses yeux troubles, sans rire.

Brusquement, Buteau s’arrêta.

— Nom de Dieu ! il a filé par le haut, pourvu qu’il ne soit pas allé faire du mal à la terre !

C’était absurde, mais ce cri de passion l’avait bouleversé. La pensée de la terre lui revenait, dans une secousse de jouissance inquiète. Ah ! la terre, elle le tenait aux entrailles plus encore que la maison ! ce morceau de terre de là-haut qui comblait le trou entre ses deux tronçons, qui lui rétablissait sa parcelle de trois hectares, si belle, que Delhomme lui-même n’en possédait pas une semblable ! Toute sa chair s’était mise à trembler de joie, comme au retour d’une femme désirée et qu’on a crue perdue. Un besoin immédiat de la revoir, dans sa crainte folle que l’autre pouvait l’emporter, lui tourna la tête. Il partit en courant, en grognant qu’il souffrirait trop, tant qu’il ne saurait pas.

Jean, en effet, était monté en plaine, afin d’éviter le village ; et, par habitude, il suivait le chemin de la Borderie. Lorsque Buteau l’aperçut, justement il passait le long de la pièce des Cornailles ; mais il ne s’arrêta pas, il ne jeta, à ce champ tant disputé, qu’un regard de défiance et de tristesse, comme s’il l’accusait de lui avoir porté malheur ; car un souvenir venait de mouiller ses yeux, celui du jour où il avait causé avec Françoise pour la première fois : n’était-ce pas aux Cornailles que la Coliche l’avait traînée, gamine encore, dans une luzernière ? Il s’éloigna d’un pas ralenti, la tête basse, et Buteau qui le guettait, mal rassuré, le soupçonnant d’un mauvais coup, put s’approcher à son tour de la pièce. Debout, il la contempla longuement : elle était toujours là, elle n’avait pas l’air de se mal porter, personne ne lui avait fait du mal. Son cœur se gonflait, allait vers elle, dans cette idée qu’il la possédait de nouveau, à jamais. Il s’accroupit, il en prit des deux mains une motte, l’écrasa, la renifla, la laissa couler pour en baigner ses doigts. C’était