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LES ROUGON-MACQUART.

Elle l’écoutait, raidie, dans une tension nerveuse qui la soulevait toute. Lui, en grognements satisfaits, lâchait ce qui avait roulé au fond de son crâne dur, une jalousie humble et féroce de serviteur contre le maître obéi, un plan sournois de crime, pour s’assurer la possession de cette femme, qu’il voulait à lui seul.

— Le coup fait, j’ai cru que tu serais contente… Si je ne t’en ai rien dit, c’était dans l’idée de ne pas te causer de la gêne… Et alors, maintenant qu’il n’est plus là, je viens te prendre, pour nous en aller et nous marier.

Jacqueline, la voix brutale, éclata.

— Toi ! mais je ne t’aime pas, je ne te veux pas !… Ah ! tu l’as tué pour m’avoir ! Il faut que tu sois plus bête encore que je ne pensais. Une bêtise pareille, avant qu’il m’épouse et qu’il fasse le testament !… Tu m’as ruinée, tu m’as ôté le pain de la bouche. C’est à moi que tu as cassé les os, hein ? brute, comprends-tu ?… Et tu crois que je vais te suivre ! Dis donc, regarde-moi bien, est-ce que tu te fous de moi ?

À son tour, il l’écoutait, béant, dans la stupeur de cet accueil inattendu.

— Parce que j’ai plaisanté, parce que nous avons pris du plaisir ensemble, tu t’imagines que tu vas m’embêter toujours… Nous marier ! ah, non ! ah, non ! j’en choisirais un plus malin, si j’avais l’envie d’un homme… Tiens ! va-t’en, tu me rends malade… Je ne t’aime pas, je ne te veux pas. Va-t’en !

Une colère le secoua. Quoi donc ? il aurait tué pour rien. Elle était à lui, il l’empoignerait par le cou et l’emporterait.

— T’es une fière gueuse, gronda-t-il. Ça n’empêche que tu vas venir. Autrement, je te règle ton compte, comme à l’autre.

La Cognette marcha sur lui, les poings serrés.

— Essaye voir !

Il était bien fort, gros et grand, et elle était bien faible, avec sa taille mince, son corps fin de jolie fille. Mais ce fut lui qui recula, tant elle lui sembla effrayante, les