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LA TERRE.

aux voitures l’accès de l’église, où l’on ne grimpait que par des sentiers de chèvre. Or, le tracé projeté suivait simplement la ruelle étranglée entre les deux cabarets, l’élargissait en ménageant la pente ; et les terrains de l’épicier, dès lors en bordure, ayant un accès facile, allaient décupler de valeur.

— Oui, continua-t-il, il paraît que le gouvernement, pour nous aider, attend que nous votions quelque chose… N’est-ce pas, tu en es ?

Lengaigne, qui était conseiller municipal, mais qui n’avait pas même un bout de jardin derrière sa maison, répondit :

— Moi, je m’en fous ! Qu’est-ce que ça me fiche, ton chemin ?

Et, en s’attaquant à l’autre joue, dont il grattait le cuir comme avec une râpe, il tomba sur la ferme. Ah ! ces bourgeois d’aujourd’hui, c’était pis encore que les seigneurs d’autrefois : oui, ils avaient tout gardé, dans le partage, et ils ne faisaient des lois que pour eux, ils ne vivaient que de la misère du pauvre monde ! Les autres l’écoutaient, gênés et heureux au fond de ce qu’il osait dire, la haine séculaire, indomptable, du paysan contre les possesseurs du sol.

— Ça va bien qu’on est entre soi, murmura Macqueron, en lançant un regard inquiet vers le maître d’école. Moi, je suis pour le gouvernement… Ainsi, notre député, monsieur de Chédeville, qui est, dit-on, l’ami de l’empereur…

Du coup, Lengaigne agita furieusement son rasoir.

— Encore un joli bougre, celui-là !… Est-ce qu’un richard comme lui, qui possède plus de cinq cents hectares du côté d’Orgères, ne devrait pas vous en faire cadeau, de votre chemin, au lieu de vouloir tirer des sous à la commune ?… Sale rosse !

Mais l’épicier, terrifié cette fois, protesta.

— Non, non, il est bien honnête et pas fier… Sans lui, tu n’aurais pas eu ton bureau de tabac. Qu’est-ce que tu dirais, s’il te le reprenait ?