yeux fureteurs faisaient le tour de la pièce. D’ailleurs, elle n’insista pas, parla tout de suite de son fils Pascal, en entendant le bruit rythmique du pilon qui n’avait pas cessé dans la chambre voisine.
— Ah ! il est encore à sa cuisine du diable !… Ne le dérangez pas, je n’ai rien à lui dire.
Martine, qui s’était remise à son fauteuil, hocha la tête, pour déclarer qu’elle n’avait nulle envie de déranger son maître ; et il y eut un nouveau silence, tandis que Clotilde essuyait à un linge ses doigts tachés de pastel, et que Félicité reprenait sa marche à petits pas, d’un air d’enquête.
Depuis bientôt deux ans, la vieille madame Rougon était veuve. Son mari, devenu si gros, qu’il ne se remuait plus, avait succombé, étouffé par une indigestion, le 3 septembre 1870, dans la nuit du jour où il avait appris la catastrophe de Sedan. L’écroulement du régime, dont il se flattait d’être un des fondateurs, semblait l’avoir foudroyé. Aussi Félicité affectait-elle de ne plus s’occuper de politique, vivant désormais comme une reine retirée du trône. Personne n’ignorait que les Rougon, en 1851, avaient sauvé Plassans de l’anarchie, en y faisant triompher le coup d’État du 2 décembre, et que, quelques années plus tard, ils l’avaient conquis de nouveau, sur les candidats légitimistes et républicains, pour le donner à un député bonapartiste. Jusqu’à la guerre, l’empire y était resté tout-puissant, si acclamé, qu’il y avait obtenu, au plébiscite, une majorité écrasante. Mais, depuis les désastres, la ville devenait républicaine, le quartier Saint-Marc était retombé dans ses sourdes intrigues royalistes, tandis que le vieux quartier et la ville neuve avaient envoyé à la Chambre un représentant libéral, assurément teinté d’orléanisme, tout prêt à se ranger du côté de la République, si elle triomphait. Et c’était pour-