Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/145

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une secousse de brusque colère lui fit repousser le livre et se dresser, frémissant.

— Alors, tu m’espionnes, je ne peux pas même me retirer dans ma chambre, sans qu’on vienne coller l’oreille aux murs… Oui, on écoute jusqu’au battement de mon cœur, on guette ma mort, pour tout saccager, tout brûler ici…

Et sa voix montait, et toute sa souffrance injuste s’exhalait en plaintes et en menaces.

— Je te défends de t’occuper de moi… As-tu autre chose à me dire ? As-tu réfléchi, peux-tu mettre ta main dans la mienne, loyalement, en me disant que nous sommes d’accord ?

Mais elle ne répondait plus, elle continuait seulement à le regarder de ses grands yeux clairs, dans sa franchise à vouloir se garder encore ; tandis que lui, exaspéré davantage par cette attitude, perdait toute mesure.

Il bégaya, il la chassa du geste.

— Va-t’en ! va-t’en !… Je ne veux pas que tu restes près de moi ! je ne veux pas que des ennemis restent près de moi ! je ne veux pas qu’on reste près de moi, à me rendre fou !

Elle s’était levée, très pâle. Elle s’en alla toute droite, sans se retourner, en emportant son ouvrage.

Pendant le mois qui suivit, Pascal essaya de se réfugier dans un travail acharné de toutes les heures. Il s’entêtait maintenant les journées entières, seul dans la salle, et il passait même les nuits, à reprendre d’anciens documents, à refondre tous ses travaux sur l’hérédité. On aurait dit qu’une rage l’avait saisi de se convaincre de la légitimité de ses espoirs, de forcer la science à lui donner la certitude que l’humanité pouvait être refaite, saine enfin et supérieure. Il ne sortait plus, abandonnait ses malades, vivait dans ses papiers, sans air, sans exercice.