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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/150

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mon pauvre garçon, tous ceux qui t’approchent en sont frappés : tu deviens fou d’orgueil et de peur !

Cette fois, Pascal releva vivement la tête, et il la regarda droit dans les yeux, tandis qu’elle continuait :

— Voilà ce que j’avais à te dire, puisque personne n’a voulu s’en charger. N’est-ce pas ? tu es d’un âge à savoir ce que tu dois faire… On réagit, on pense à autre chose, on ne se laisse pas envahir par l’idée fixe, surtout quand on est d’une famille pareille à la nôtre… Tu la connais. Méfie-toi, soigne-toi.

Il avait pâli, il la regardait toujours fixement, comme s’il l’eût sondée, pour savoir ce qu’il y avait d’elle en lui. Et il se contenta de répondre :

— Vous avez raison, ma mère… Je vous remercie.

Puis, lorsqu’il fut seul, il retomba assis devant sa table, il voulut reprendre la lecture de son livre. Mais, pas plus qu’auparavant, il n’arriva à fixer assez son attention, pour comprendre les mots dont les lettres se brouillaient devant ses yeux. Et les paroles prononcées par sa mère bourdonnaient à ses oreilles, une angoisse qui montait en lui depuis quelque temps, grandissait, se fixait, le hantait maintenant d’un danger immédiat, nettement défini. Lui qui, deux mois plus tôt, se vantait si triomphalement de n’en être pas, de la famille, allait-il donc recevoir le plus affreux des démentis ? Aurait-il la douleur de voir la tare renaître en ses moelles, roulerait-il à l’épouvante de se sentir aux griffes du monstre héréditaire ? Sa mère l’avait dit : il devenait fou d’orgueil et de peur. L’idée souveraine, la certitude exaltée qu’il avait d’abolir la souffrance, de donner de la volonté aux hommes, de refaire une humanité bien portante et plus haute, ce n’était sûrement là que le début de la folie des grandeurs. Et, dans sa crainte d’un guet-apens, dans son besoin de guetter les ennemis qu’il sentait acharnés à sa perte, il