Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/189

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Ensuite, peu à peu, l’évolution s’est produite, j’ai eu des révoltes dernières, pour ne pas avouer ma défaite… Cependant, chaque jour davantage, la vérité se faisait en moi, je sentais bien que tu étais mon maître, qu’il n’y avait pas de bonheur en dehors de toi, de ta science et de ta bonté. Tu étais la vie elle-même, tolérante et large, disant tout, acceptant tout, dans l’unique amour de la santé et de l’effort, croyant à l’œuvre du monde, mettant le sens de la destinée dans ce labeur que nous accomplissons tous avec passion, en nous acharnant à vivre, à aimer, à refaire de la vie, et de la vie encore, malgré nos abominations et nos misères… Oh ! vivre, vivre, c’est la grande besogne, c’est l’œuvre continuée, achevée sans doute un soir !

Silencieux, il souriait, il la baisa sur la bouche.

— Et, maître, si je t’ai toujours aimé, du plus loin de ma jeunesse, c’est, je crois bien, la nuit terrible, que tu m’as marquée et faite tienne… Tu te rappelles de quelle étreinte violente tu m’avais étouffée. Il m’en restait une meurtrissure, des gouttes de sang à l’épaule. J’étais à demi nue, ton corps était comme entré dans le mien. Nous nous sommes battus, tu as été le plus fort, j’en ai conservé le besoin d’un soutien. D’abord, je me suis crue humiliée ; puis, j’ai vu que ce n’était qu’une soumission infiniment douce… Toujours je te sentais en moi. Ton geste, à distance, me faisait tressaillir, car il me semblait qu’il m’avait effleurée. J’aurais voulu que ton étreinte me reprît, m’écrasât jusqu’à me fondre en toi, à jamais. Et j’étais avertie, je devinais, que ton désir était le même, que la violence qui m’avait faite tienne t’avait fait mien, que tu luttais pour ne pas me saisir, au passage, et me garder… Déjà, en te soignant, quand tu as été malade, je me suis contentée un peu. C’est à partir de ce moment que j’ai compris. Je ne suis plus allée à l’église, je