Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/19

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reusement Martine, dont la dévotion étroite saignait. Ne dites pas que monsieur tue le bon Dieu !

— Si, ma pauvre fille, il le tue… Et, voyez-vous, c’est un crime, au point de vue de la religion, que de le laisser se damner ainsi. Vous ne l’aimez pas, ma parole d’honneur ! non, vous ne l’aimez pas, vous deux qui avez le bonheur de croire, puisque vous ne faites rien pour qu’il rentre dans la vraie route… Ah ! moi, à votre place, je fendrais plutôt cette armoire à coups de hache, je ferais un fameux feu de joie avec toutes les insultes au bon Dieu qu’elle contient !

Elle s’était plantée devant l’immense armoire, elle la mesurait de son regard de feu, comme pour la prendre d’assaut, la saccager, l’anéantir, malgré la maigreur desséchée de ses quatre-vingts ans. Puis, avec un geste d’ironique dédain :

— Encore, avec sa science, s’il pouvait tout savoir !

Clotilde était restée absorbée, les yeux perdus. Elle reprit à demi-voix, oubliant les deux autres, se parlant à elle-même :

— C’est vrai, il ne peut tout savoir… Toujours, il y a autre chose, là-bas… C’est ce qui me fâche, c’est ce qui nous fait nous quereller parfois ; car je ne puis pas, comme lui, mettre le mystère à part : je m’en inquiète, jusqu’à en être torturée… Là-bas, tout ce qui veut et agit dans le frisson de l’ombre, toutes les forces inconnues…

Sa voix s’était ralentie peu à peu, tombée à un murmure indistinct.

Alors, Martine, l’air sombre depuis un moment, intervint à son tour.

— Si c’était vrai pourtant, mademoiselle, que monsieur se damnât avec tous ces vilains papiers ! Dites, est-ce que nous le laisserions faire ?… Moi, voyez-vous, il me dirait de me jeter en bas de la terrasse, je fermerais les yeux et