Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/196

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réveil l’emportait, une fougue de jeune homme éclatait en gestes, en cris, en un besoin continuel de se dépenser et de vivre. Tout lui redevenait nouveau et ravissant, le moindre coin du vaste horizon l’émerveillait, une simple fleur le jetait dans une extase de parfum, un mot de tendresse quotidienne, affaibli par l’usage, le touchait aux larmes comme une invention toute fraîche du cœur, que des millions de bouches n’avaient point fanée. Le « Je t’aime » de Clotilde était une infinie caresse dont personne au monde ne connaissait le goût surhumain. Et, avec la santé, avec la beauté, la gaieté aussi lui était revenue, cette gaieté tranquille qu’il devait autrefois à son amour de la vie, et qu’aujourd’hui ensoleillait sa passion, toutes les raisons qu’il avait de trouver la vie meilleure encore.

À eux deux, la jeunesse en fleur, la force mûre, si saines, si gaies, si heureuses, ils firent un couple rayonnant. Pendant un grand mois, ils s’enfermèrent, ils ne sortirent pas une seule fois de la Souleiade. La chambre même leur suffit d’abord, cette chambre tendue d’une vieille et attendrissante indienne, au ton d’aurore, avec ses meubles empire, sa vaste et raide chaise longue, sa haute psyché monumentale. Ils ne pouvaient regarder sans joie la pendule, une borne de bronze doré, contre laquelle l’Amour souriant contemplait le Temps endormi. N’était-ce point une allusion ? ils en plaisantaient parfois. Toute une complicité affectueuse leur venait ainsi des moindres objets, de ces vieilleries si douces, où d’autres avaient aimé avant eux, où elle-même, à cette heure, remettait son printemps. Un soir, elle jura qu’elle avait vu, dans la psyché, une dame très jolie, qui se déshabillait, et qui n’était sûrement pas elle ; puis, reprise par son besoin de chimère, elle fit tout haut le rêve qu’elle apparaîtrait de la sorte, cent ans plus tard, à une amou-