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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/219

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surtout, son continuel étonnement, sa continuelle indignation étaient de voir que, dans les romans d’amour, on ne se préoccupait jamais de l’enfant. Il n’y était pas même prévu, et quand, par hasard, il tombait au milieu des aventures du cœur, c’était une catastrophe, une stupeur et un embarras considérable. Jamais les amants, lorsqu’ils s’abandonnaient aux bras l’un de l’autre, ne semblaient se douter qu’ils faisaient œuvre de vie et qu’un enfant allait naître. Cependant, ses études d’histoire naturelle lui avaient montré que le fruit était le souci unique de la nature. Lui seul importait, lui seul devenait le but, toutes les précautions se trouvaient prises pour que la semence ne fût point perdue et que la mère enfantât. Et l’homme, au contraire, en civilisant, en épurant l’amour, en avait écarté jusqu’à la pensée du fruit. Le sexe des héros, dans les romans distingués, n’était plus qu’une machine à passion. Ils s’adoraient, se prenaient, se lâchaient, enduraient mille morts, s’embrassaient, s’assassinaient, déchaînaient une tempête de maux sociaux, le tout pour le plaisir, en dehors des lois naturelles, sans même paraître se souvenir qu’en faisant l’amour on faisait des enfants. C’était malpropre et imbécile.

Elle s’égaya, elle répéta dans son cou, avec une jolie audace d’amoureuse, un peu confuse.

— Il viendra… Puisque nous faisons tout ce qu’il faut pour ça, pourquoi ne veux-tu pas qu’il vienne ?

Il ne répondit pas tout de suite. Elle le sentait, entre ses bras, pris de froid, envahi par le regret et le doute. Puis, il murmura tristement :

— Non, non ! il est trop tard… Songe donc, chérie, à mon âge !

— Mais tu es jeune ! s’écria-t-elle de nouveau, avec un emportement de passion, en le réchauffant, en le couvrant de baisers.