Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/241

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s’était élargi, les gouttes se suivaient plus rapides, avec le léger clapotement monotone et entêté de leur chute. Et Charles, à un moment, s’agita, ouvrit les yeux, s’aperçut qu’il était plein de sang. Mais il ne s’épouvanta pas, il était accoutumé à cette source sanglante qui sortait de lui, au moindre heurt. Il eut une plainte d’ennui. L’instinct pourtant dut l’avertir, il s’effara ensuite, se lamenta plus haut, balbutia un appel confus.

— Maman ! maman !

Sa faiblesse, déjà, devait être trop grande, car un engourdissement invincible le reprit, il laissa retomber sa tête. Ses yeux se refermèrent, il parut se rendormir, comme s’il eût continué en rêve sa plainte, le doux gémissement, de plus en plus grêle et perdu.

— Maman ! maman !

Les images étaient inondées, le velours noir de la veste et de la culotte, soutachées d’or, se souillait de longues rayures ; et le petit filet rouge, entêté, s’était remis à couler de la narine gauche, sans arrêt, traversant la mare vermeille de la table, s’écrasant à terre, où finissait par se former une flaque. Un grand cri de la folle, un appel de terreur aurait suffi. Mais elle ne criait pas, elle n’appelait pas, immobile, avec ses yeux fixes d’ancêtre qui regardait s’accomplir le destin, comme desséchée là, nouée, les membres et la langue liés par ses cent ans, le cerveau ossifié par la démence, dans l’incapacité de vouloir et d’agir. Et, cependant, la vue du petit ruisseau rouge commençait à la remuer d’une émotion. Un tressaillement avait passé sur sa face morte, une chaleur montait à ses joues. Enfin, une dernière plainte la ranima toute.

— Maman ! maman !

Alors, il y eut, chez Tante Dide, un visible et affreux combat. Elle porta ses mains de squelette à ses tempes,