Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/258

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Mais il voyait qu’elle ne disait pas tout, qu’elle avait eu l’idée d’un arrangement, dont elle ne savait de quelle façon lui faire l’offre. Et il l’encouragea.

— Alors, du moment que monsieur y consentirait, j’aimerais mieux que monsieur me signât un papier.

— Comment, un papier ?

— Oui, un papier où monsieur, chaque mois, dirait qu’il me doit quarante francs.

Tout de suite, Pascal lui fit le papier, et elle en fut très heureuse, elle le serra avec soin, comme du bel et bon argent. Cela, évidemment, la tranquillisait. Mais ce papier devint, pour le docteur et sa compagne, un nouveau sujet d’étonnement et de plaisanterie. Quel était donc l’extraordinaire pouvoir de l’argent sur certaines âmes ? Cette vieille fille qui les servait à genoux, qui l’adorait surtout, lui, au point de lui avoir donné sa vie, et qui prenait cette garantie imbécile, ce chiffon de papier sans valeur, s’il ne pouvait la payer !

Du reste, ni Pascal ni Clotilde n’avaient eu, jusque-là, un grand mérite à garder leur sérénité dans l’infortune, car ils ne sentaient pas celle-ci. Ils vivaient au-dessus, plus loin, plus haut, dans l’heureuse et riche contrée de leur passion. À table, ils ignoraient ce qu’ils mangeaient, ils pouvaient faire le rêve de mets princiers, servis sur des plats d’argent. Autour d’eux, ils n’avaient pas conscience du dénuement qui croissait, de la servante affamée, nourrie de leurs miettes ; et ils marchaient par la maison vide comme à travers un palais tendu de soie, regorgeant de richesses. Ce fut certainement l’époque la plus heureuse de leurs amours. La chambre était un monde, la chambre tapissée de vieille indienne, couleur d’aurore, où ils ne savaient comment épuiser l’infini, le bonheur sans fin d’être aux bras l’un de l’autre. Ensuite, la salle de travail gardait les bons souvenirs du passé, à ce point qu’ils y