Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/333

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pour amuser son mal, il reprenait ses théories dernières, il rêvait au moyen d’utiliser la souffrance, de la transformer en action, en travail. Si l’homme, à mesure qu’il s’élève dans la civilisation, sent la douleur davantage, il est très certain qu’il y devient aussi plus fort, plus armé, plus résistant. L’organe, le cerveau qui fonctionne, se développe, se solidifie, pourvu que l’équilibre ne soit pas rompu, entre les sensations qu’il reçoit et le travail qu’il rend. Dès lors, ne pouvait-on faire le rêve d’une humanité où la somme du travail équivaudrait si bien à la somme des sensations, que la souffrance s’y trouverait elle-même employée et comme supprimée ?

Maintenant, le soleil se levait, Pascal roulait confusément ces lointains espoirs, dans le demi-sommeil de son mal, lorsqu’il sentit une nouvelle crise naître du fond de sa poitrine. Il eut un moment d’anxiété atroce : est-ce que c’était la fin ? est-ce qu’il allait mourir seul ? Mais, justement, des pas rapides montaient l’escalier, Ramond entra, suivi de Martine. Et le malade eut le temps de lui dire, avant d’étouffer :

— Piquez-moi, piquez-moi tout de suite, avec de l’eau pure ! et deux fois, au moins dix grammes !

Malheureusement, le médecin dut chercher la petite seringue, puis tout préparer. Cela dura quelques minutes, et la crise fut effrayante. Il en suivait les progrès avec anxiété, le visage qui se décomposait, les lèvres qui bleuissaient. Enfin, lorsqu’il eut fait les deux piqûres, il remarqua que les phénomènes, un instant stationnaires, diminuaient ensuite d’intensité, lentement. Cette fois encore, la catastrophe était évitée.

Mais, dès qu’il n’étouffa plus, Pascal, jetant un regard sur la pendule, dit de sa voix faible et tranquille :

— Mon ami, il est sept heures… Dans douze heures, à sept heures, ce soir, je serai mort.