Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/160

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qui me poussait, car moi je n’osais point, j’étais certain de vous déplaire… Si vous compreniez à quel point je suis misérable ! Ne m’aimez pas, mais laissez-moi vous aimer. Soyez froide, soyez méchante, je vous aimerai comme vous serez. Je ne vous demande que de vous voir, sans espoir aucun, pour l’unique joie d’être ainsi, à vos genoux.

Il se tut, défaillant, perdant courage à croire qu’il ne trouvait rien pour la toucher. Et il ne sentait pas qu’elle souriait, d’un sourire invincible, peu à peu grandi sur ses lèvres. Ah ! le cher garçon, il était si naïf et si croyant, il récitait là sa prière de cœur tout neuf et passionné, en adoration devant elle, comme devant le rêve même de sa jeunesse ! Dire qu’elle avait lutté d’abord pour ne pas le revoir, puis qu’elle s’était juré de l’aimer sans jamais qu’il le sût ! Un grand silence s’était fait, les saintes ne défendaient point d’aimer, lorsqu’on aimait ainsi. Derrière son dos, une gaieté avait couru, à peine un frisson, l’onde mouvante de la lune sur le carreau de la chambre. Un doigt invisible, sans doute celui de sa gardienne, se posa sur sa bouche, pour la desceller de son serment. Elle pouvait parler désormais, tout ce qui flottait de puissant et de tendre à son entour lui soufflait des paroles.

— Ah ! oui, je me souviens, je me souviens…

Et Félicien, tout de suite, fut pris par la musique de cette voix, dont le charme était sur