Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/2

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ans, qui, réfugiée sous les voussures de la porte, y avait passé la nuit à grelotter, en s’abritant de son mieux. Elle était vêtue de loques, la tête enveloppée d’un lambeau de foulard, les pieds nus dans de gros souliers d’homme. Sans doute elle n’avait échoué là qu’après avoir longtemps battu la ville, car elle y était tombée de lassitude. Pour elle, c’était le bout de la terre, plus personne ni plus rien, l’abandon dernier, la faim qui ronge, le froid qui tue ; et, dans sa faiblesse, étouffée par le poids lourd de son cœur, elle cessait de lutter, il ne lui restait que le recul physique, l’instinct de changer de place, de s’enfoncer dans ces vieilles pierres, lorsqu’une rafale faisait tourbillonner la neige.

Les heures, les heures coulaient. Longtemps, entre le double vantail des deux baies jumelles, elle s’était adossée au trumeau, dont le pilier porte une statue de sainte Agnès, la martyre de treize ans, une petite fille comme elle, avec la palme et un agneau à ses pieds. Et, dans le tympan, au-dessus du linteau, toute la légende de la vierge enfant, fiancée à Jésus, se déroule, en haut relief, d’une foi naïve : ses cheveux qui s’allongèrent et la vêtirent, lorsque le gouverneur, dont elle refusait le fils, l’envoya nue aux mauvais lieux ; les flammes du bûcher qui, s’écartant de ses membres, brûlèrent les bourreaux, dès qu’ils eurent allumé le bois ; les miracles de ses ossements, Con-