Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/98

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qui, les regards levés, ne la quittait plus. Elle avait, sur les mains, sur le visage, l’impression physique de ces regards, longs, très doux, craintifs aussi ; elle ne s’y dérobait pas, parce qu’elle les sentait purs, venus du monde enchanté de la Légende ; et son anxiété première se changeait, en un trouble délicieux, dans sa certitude du bonheur. Une nuit, brusquement, sur la terre blanche de lune, l’ombre se dessina d’une ligne franche et nette, l’ombre d’un homme, qu’elle ne pouvait voir, caché derrière les saules. L’homme ne bougeait pas, elle regarda longtemps l’ombre immobile.

Dès lors, Angélique eut un secret. Sa chambre nue, badigeonnée à la chaux, toute blanche, en était emplie. Elle restait des heures, dans son grand lit, où elle se perdait, si minée, les yeux clos, mais ne dormant pas, revoyant toujours l’ombre immobile, sur le sol éclatant. À l’aube, quand elle rouvrait les paupières, ses regards allaient de l’armoire énorme au vieux coffre, du poêle de faïence à la petite table de toilette, dans la surprise de ne pas retrouver là ce profil mystérieux, qu’elle eût dessiné d’un trait sûr, de mémoire. Elle l’avait revu en dormant, glisser parmi les bruyères pâles de ses rideaux. Ses songes comme sa veille en étaient peuplés. C’était une ombre compagne de la sienne, elle avait deux ombres, bien qu’elle fût seule, avec son rêve. Et ce secret, elle ne le confia à personne, pas même à Hubertine, à laquelle,