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LES ROUGON-MACQUART.

La vérité était qu’Auguste se connaissait à merveille à la qualité du sang ; le boudin était bon, toutes les fois qu’il disait : « Le boudin sera bon. »

— Eh bien, aurons-nous du bon boudin ? demanda Lisa.

Il déposa ses deux brocs, et, lentement :

— Je le crois, madame Quenu, oui, je le crois… Je vois d’abord ça à la façon dont le sang coule. Quand je retire le couteau, si le sang part trop doucement, ce n’est pas un bon signe, ça prouve qu’il est pauvre…

— Mais, interrompit Quenu, c’est aussi selon comme le couteau a été enfoncé.

La face blême d’Auguste eut un sourire.

— Non, non, répondit-il, j’enfonce toujours quatre doigts du couteau ; c’est la mesure… Mais, voyez-vous, le meilleur signe, c’est encore lorsque le sang coule et que je le reçois en le battant avec la main, dans le seau. Il faut qu’il soit d’une bonne chaleur, crémeux, sans être trop épais.

Augustine avait laissé son aiguille. Les yeux levés, elle regardait Auguste. Sa figure rougeaude, aux durs cheveux châtains, prenait un air d’attention profonde. D’ailleurs, Lisa, et la petite Pauline elle-même, écoutaient également avec un grand intérêt.

— Je bats, je bats, je bats, n’est-ce pas ? continua le garçon, en faisant aller sa main dans le vide, comme s’il fouettait une crème. Eh bien, quand je retire ma main et que je la regarde, il faut qu’elle soit comme graissée par le sang, de façon à ce que le gant rouge soit bien du même rouge partout… Alors, on peut dire sans se tromper : « Le boudin sera bon. »

Il resta un instant la main en l’air, complaisamment, l’attitude molle ; cette main qui vivait dans des seaux de sang était toute rose, avec des ongles vifs, au bout de la manche blanche. Quenu avait approuvé de la tête. Il y eut un silence. Léon hachait toujours. Pauline, qui était restée son-