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LES ROUGON-MACQUART.

le jeta. Il dut vivre cinq semaines au milieu de ces bandits, vêtu comme eux de toile à voile, mangeant à leur gamelle. De gros poux le dévoraient, des sueurs terribles le laissaient sans force. La cuisine, la boulangerie, la machine du bateau, chauffaient tellement les faux-ponts, que dix des forçats moururent de chaleur. Dans la journée, on les faisait monter cinquante à la fois, pour leur permettre de prendre l’air de la mer ; et, comme on avait peur d’eux, deux canons étaient braqués sur l’étroit plancher où ils se promenaient. Le pauvre homme était bien content, quand arrivait son tour. Ses sueurs se calmaient un peu. Il ne mangeait plus, il était très-malade. La nuit, lorsqu’on l’avait remis aux fers, et que le gros temps le roulait entre ses deux voisins, il se sentait lâche, il pleurait, heureux de pleurer sans être vu…

Pauline écoutait, les yeux agrandis, ses deux petites mains croisées dévotement.

— Mais, interrompit-elle, ce n’est pas l’histoire du monsieur qui a été mangé par les bêtes… C’est une autre histoire, dis, mon cousin ?

— Attends, tu verras, répondit doucement Florent. J’y arriverai, à l’histoire du monsieur… Je te raconte l’histoire tout entière.

— Ah ! bien, murmura l’enfant d’un air heureux.

Pourtant elle resta pensive, visiblement préoccupée par quelque grosse difficulté qu’elle ne pouvait résoudre. Enfin, elle se décida.

— Qu’est-ce qu’il avait donc fait, le pauvre homme, demanda-t-elle, pour qu’on le renvoyât et qu’on le mît dans le bateau ?

Lisa et Augustine eurent un sourire. L’esprit de l’enfant les ravissait. Et Lisa, sans répondre directement, profita de la circonstance pour lui faire la morale ; elle la frappa beaucoup, en lui disant qu’on mettait aussi dans le bateau les enfants qui n’étaient pas sages.